Missiologie en France, le champ et ses réseaux

 

 

Notre communication part de cette conviction que la France, pour des raisons historiques,  est en relations privilégiées (et problématiques) avec nombre de pays d’Afrique, d’Asie, des Caraïbes ou d’Amérique latine, et d’Océanie. Ces pays autrefois colonisés étaient aussi des « pays de mission » pour les chrétiens de France. Quelles traces ces relations de l’histoire ont-elles laissé dans la recherche missiologique française, catholique et protestante ? Dans un premier temps, nous tenterons un rapide panorama des lieux de la recherche missiologique actuellement en France, puis nous dégagerons quelques-uns des axes de la recherche missiologique française, fruits repérables de ces relations historiques, dans un contexte qui n’est plus d’abord marqué par la colonisation ou ses conséquences, mais par la mondialisation.

 

Lieux, institutions et revues de missiologie :

 

A notre connaissance, il n’y a pas de chaire de  missiologie proprement dite en France, mais au mieux des cours de missiologie ou bien des centres de recherches qui se situent dans le domaine de la missiologie. Des cours de missiologie sont donnés dans le cadre des Instituts de Science et de Théologie des Religions (Institut Catholique de Paris, Institut Catholique de Toulouse,  centre de Marseille pour l’Université Catholique de Lyon),  dans celui du Centre Cultures et Religions du Centre Sèvres (Facultés jésuites de Paris) ou encore de la Faculté de Théologie protestante Paris et de Montpellier. Dans ce sens, notons aussi la création récente de l’Institut Catholique de la Méditerranée comme l’effort de la Mission de France pour constituer, il y a trois ans, une Ecole de la mission proposant, en dehors du champ universitaire, une formation pour prêtres, religieux et laïcs.

 

Le statut de l’enseignement de la missiologie, comme sa place par rapport à d’autres disciplines pose question aussi en France. La missiologie est souvent intégrée à la théologie pratique (Institut de Théologie pratique de l’Université Catholique de Lille ou Faculté Libre de Théologie Evangélique de Vaux sur Seine, par exemple), à l’apologétique (Faculté Libre de Théologie Réformée d’Aix en Provence) ou bien conçue comme une partie de l’histoire des missions ou encore comme un chapitre de l’ecclésiologie.

 

Ces dernières décennies, la réflexion missiologique en France a été tirée en avant par des questions spécifiques qui ont suscité la création d’institutions ciblées, notamment le dialogue avec l’Islam et plus largement la rencontre avec les religions :

- la  Commission Dialogue avec les religions de la Fédération Protestante de France à Paris, l’Action chrétienne en Orient (Strasbourg), le Groupe d’études et de recherches islamologiques de la Faculté de Théologie protestante de Strasbourg ou encore le Secrétariat pour les relations avec l’Islam (Paris), dépendant de la Conférence des Evêques de France.

- les Instituts de Science et de Théologie des Religions (Paris, Marseille, Toulouse), dans l’optique plus vaste des sciences ou de l’histoire des religions, avec un volet théologique et donc missiologique.

 

Mais l’intérêt missiologique est présent sous d’autres formes :

De nombreux centres de documentation et de bibliothèques existent : citons seulement le Département protestant de Mission à Paris (DEFAP) issu de la Société des Missions Evangéliques de Paris, ou encore le Centre d’Etudes africaines, arabes et asiatiques de l’Institut catholique de Toulouse, le Centre de documentation des Œuvres Pontificales Missionnaires de Paris et de Lyon, ainsi que les centres liés à des Instituts missionnaires tels les Spiritains (Chevilly la rue), les Lazaristes (Paris) ou les Missions Etrangères de Paris. Sans  parler des centres d’archives concernant plus largement la période coloniale, et qui n’ont pas de visée missiologique, même s’ils présentent un intérêt pour l’étude de la mission. Dans cette catégorie, nous relevons également le bulletin DIAL, Diffusion de l’information sur l’Amérique latine, basé actuellement à Lyon.

 

Des associations de missiologie sont nées en France bien que débordant largement le seul cadre français. Je veux parler du Crédic et de l’AFOM, toutes deux oecuméniques.

Le Crédic (Centre de recherches et d’études sur l’inculturation et la diffusion du christianisme) fondé en 1979, rassemble des universitaires et des acteurs de la mission, issus des différentes Eglises, dans le but de promouvoir l’étude scientifique de l’inculturation du christianisme en dehors de l’Europe, de collecter la mémoire missionnaire et de confronter par le dialogue les positions des communautés chrétiennes de diverses cultures. Actuellement l’association compte 75 membres, la plupart européens (quelques africains ou asiatiques ont rejoint ses rangs). L’activité principale du Crédic est l’organisation de colloques annuels, souvent en collaboration avec l’AFOM ou le Centre Vincent Lebbe de l’Université catholique de Louvain. Le point de vue privilégie l’approche historique.

 

L’AFOM (Association Francophone Œcuménique de Missiologie) est née en 1994, se distinguant du Crédic par un accent délibérément porté sur la théologie de la mission plus que sur l’histoire. Elle vise à développer la recherche théologique sur la mission en lien avec l’expérience, la formation missiologique au plan universitaire et ecclésial, la communication et la diffusion des travaux rédigés dans ce sens. L’association regroupe actuellement plus de cent membres, dont 10 % seulement sont originaires d’un autre continent que l’Europe.

Outre les colloques déjà mentionnés, l’AFOM lance des chantiers de travail : entre autres,  traduction de livres (Transforming mission, de David Bosch, en 1995), rédaction d’un Dictionnaire œcuménique de missiologie (2001) ou d’une recherche collective sur l’évangélisation aujourd’hui en Europe de l’Ouest (Appel à témoins, 2004). Un chantier ouvert se propose d’éditer un recueil des meilleures pages d’une quinzaine de théologiens africains.

 

Nouvelles ou plus anciennes, des revues de réflexion missiologique existent en nombre significatif : pour l’Eglise catholique, la revue Mission de l’Eglise, émanation de l’Union pontificale missionnaire de France et de Belgique, ou Spiritus (qui est publié par un ensemble de congrégations et instituts missionnaires), ou encore la publication plus historique de Mémoire Spiritaine, la revue récente de l’Institut de Science et de Théologie des Religions de Marseille (lié à l’Université catholique de Lyon), Chemins de dialogue. La Lettre aux communautés, de la Mission de France apporte également un éclairage missiologique, ou encore Migration et Pastorale, l’organe de réflexion du Service national de la pastorale des Migrants.

Du côté protestant, il faut noter le mensuel Mission, du DEFAP, plus magazine que revue de théologie, mais fournissant des éléments appréciables pour une réflexion missiologique, ou encore Perspectives missionnaires, à cheval sur la Suisse et la France, dont le comité de rédaction regroupe des sensibilités oecuméniques aussi bien qu’évangéliques.

 

Le bilan de ce survol est clair : faiblesse d’un enseignement missiologique structuré en France, mais en même temps multiplicité des lieux de recherche et de publication touchant à la mission. Avec la participation de l’ensemble des Eglises chrétiennes, à l’exception des orthodoxes qui paraissent pour l’instant peu présents sur le champ de la missiologie dans l’hexagone.

 

Quelques questions missiologiques en retour :

 

Depuis le livre des Abbés Godin et Daniel, France, pays de mission ? (Le Cerf, 1943), les chrétiens français, catholiques ou protestants, ont eu le temps de s’approprier l’idée que la France est en situation missionnaire et qu’ils ne sont plus en position de « supériorité ecclésiologique » par rapport aux Eglises qu’ils ont contribué à faire naître dans les régions anciennement colonisées. Dans cette nouvelle situation d’égalité face à l’urgence missionnaire, la réflexion missiologique en France a pu s’approprier de façon nouvelle des questions particulières qui ont surgi de ces relations privilégiées avec d’autres continents. Ce sont quelques-unes de ces questions en retour que je voudrais signaler ici, et leur développement dans le contexte nouveau de l’actuelle mondialisation-globalisation.

 

L’Asie et la question de l’autre :

La résistance des anciennes sagesses et traditions asiatiques à l’évangélisation impose un changement de perspectives. Dans la ligne de l’œuvre de Jacques Gernet, professeur au Collège de France, qui, dans son livre Chine et Christianisme, action et réaction (Gallimard 1982), invitait déjà à regarder quelle fut la réaction des Chinois à l’action des missionnaires, et non pas d’abord quelle fut la stratégie des évangélisateurs européens, deux livres récents, publiés en français, soulignent la pertinence d’un tel renversement de perspective : l’ouvrage de Nicolas Standaert (Université catholique de Leuven), L’autre dans la mission, leçons à partir de la Chine (Lessius, 2003), invite à prendre en compte « l’autre » chinois et non plus seulement le projet missionnaire à la suite de Ricci. Dans la même ligne, Roland Jacques (Faculté de droit canonique d’Ottawa et Institut catholique de Paris), dans son ouvrage Des nations à évangéliser – genèse de la mission catholique pour l’Extrême-Orient (Le Cerf, 2003) propose de pendre le point de vue de l’autre : c’est à une véritable confrontation  avec l’ « autre » qui est au cœur d’un système culturel et sapientiel extrêmement fort que la mission est appelée. Notons tout de suite qu’il est difficile d’isoler la France et la missiologie française d’un contexte plus large, européen de l’Ouest, ou même francophone.

 

Soulignons que cette perspective à partir des résistances aux stratégies d’évangélisation, rejoint la réflexion (également largement issue de la rencontre avec l’Asie) sur le dialogue inter-religieux et la question lancinante pour certains chrétiens : tous les croyants des religions du monde sont-ils appelés à se convertir au christianisme ? Nous pouvons citer quelques ouvrages récents comme celui de Geneviève Comeau, Grâce à l’autre, le pluralisme religieux, une chance pour la foi (Editions de l’Atelier, 2004, 160 p.). L’auteure, enseignante au Centre Sèvres à Paris, propose une vision du Dieu qui se donne lui-même et que perçoivent à leur manière les différentes religions, un Dieu qui appelle chacun à devenir fils et fille, frères et sœurs les uns des autres, par l’Esprit, en son Fils unique. Les communautés chrétiennes sont alors appelées à vivre ces relations fraternelles et filiales en désignant Qui en est la source.

Ou encore l’ouvrage de Jean-Marie Ploux (prêtre de la Mission de France), Le dialogue change-t-il la foi ? (Editions de l’Atelier, 2004, 208 p.), qui se situe dans le registre de l’autre et de la différence en élargissant le dialogue non seulement aux membres des autres religions mais également à l’échange avec des non croyants.

De son côté, la revue Spiritus a consacré quatre numéros en 2002-2003 (168-171) au risque de l’autre.

 

La question de l’autre rebondit en Occident et en France où la nouvelle évangélisation devra prendre en compte cet « autre » qui est maintenant installé en son sein, avec le risque toujours ouvert de l’affrontement possible. Mais aussi avec les chemins nouveaux ouverts, dans le cadre cette fois-ci de l’œcuménisme, par le consensus différencié (cf André Birmelé, La communion ecclésiale, progrès œcuménique et enjeux méthodologiques, Le Cerf, 2000). L’altérité prise en compte est alors facteur de vérité et de fraternité. L’altérité n’est plus une fatalité.

 

L’Amérique latine, l’évangélisation et l’engagement pour la transformation de la société :

L’engagement des Eglises de France, notamment l’Eglise catholique et ses congrégations missionnaires, en Amérique latine s’est trouvé renouvelé après la lettre de Jean XXIII (lettre au Cardinal Liénart, 25 Septembre 1961) appelant à envoyer des prêtres Fidei Donum dans le continent. Des prêtres latino-américains sont également venus poursuivre des études en France. Une symbiose s’est établie entre certains secteurs des Eglises de part et d’autre de l’Atlantique.

 

Dans les années qui ont suivi Vatican II, les grandes réunions des évêques d’Amérique latine (Medellin, Puebla et Saint-Domingue) ont notamment insisté sur la formation de petites communautés chrétiennes, à l’image de celles de l’Église primitive. La paroisse, écrivent les évêques dans le document de Saint-Domingue (1992), doit être « un réseau de communautés » (conclusions n° 58 – voir aussi n° 61-63). Cette perspective de structuration de l’espace pastoral a eu des répercussions en France, comme modèle possible pour la réorganisation des paroisses, notamment dans le souci de conserver des communautés de proximité, où les laïcs, en relation avec la paroisse plus vaste et son clergé, pourrait mener une vie chrétienne sur le terrain, à la fois présence et évangélisation.  Je citerai seulement un ouvrage du Comité Episcopal France-Amérique Latine (CEFAL) qui pose bien la question : Faire Eglise autrement en Amérique Latine, en France (Le Cerf, 1999, 194 p.) : Monseigneur Georges Gilson, archevêque de Sens-Auxerre et prélat de la Mission de France, dans un colloque sur l’aménagement du territoire, détermine trois lieux de la manifestation de la foi chrétienne, dont la communauté de base, communauté de terrain (ibid., p. 148-149). Dans le même ouvrage collectif, le Père André Picard fait le lien entre la restructuration du territoire paroissial français et les communautés de base en Amérique latine ou en Afrique (cf. p. 179 et sv.).

 

Un second aspect des Communautés ecclésiales de base est à souligner. Elles doivent être moteur d’évangélisation et source de libération. Elles représentent, même si de fait elles sont limitées en nombre et se sont surtout développé dans les zones rurales ou à la périphérie des grandes villes, une grande espérance pour l’Église et la transformation de la société. Dans les Communautés, les questions humaines sont abordées : les problèmes de la terre, ceux liés à la santé, à la malnutrition, aux élections et tant d’autres questions de la vie qui sont la préoccupation quotidienne.  Cela se fait à la lumière de la Parole de Dieu pour orienter l’action. Comme le souligne Marcello Azevedo dans Communautés ecclésiales de base, l’enjeu d’une nouvelle manière d’être Eglise (Le Centurion, 1986, pp. 136 et sv), l’existence des Communautés ecclésiales de base est inséparable du défi de l’évangélisation globale et de la prise en compte de la dimension socio-politique de la mission d’évangélisation. En Amérique Latine, l’évangélisation ne peut être séparée de l’action sociale et d’un engagement pour transformer la société.

 

Les CEB ont marqué l’Église d’Amérique Latine et celle-ci a aidé l’Église universelle à retourner à la source de l’Évangile avec le choix prioritaire pour la cause des pauvres, qui est notre cause et la cause de Jésus-Christ (Message des Évêques réunis à Puebla, au Mexique, en 1979). Jean-Paul II a adopté cette expression de “l’option préférentielle pour les pauvres” dans de nombreux discours après ses voyages en Amérique Latine.

                                                                                  

L’expérience des années 68 avec Medellin puis Puebla, est apparue fortement significative  pour le clergé « progressiste » français. Toute une réflexion sur la cause de pauvres (cf Alain Durand, Le Cerf, 1992) a permis une meilleure appropriation de l’option préférentielle pour les pauvres, telle qu’elle a été vécue en Amérique latine, et permis de souligner l’affirmation du synode romain de 1971 : l’engagement pour la justice fait partie intégrante de l’évangélisation. Une telle réflexion a développé des fruits en France, notamment la charte de la solidarité promulguée par les Evêques de France en 1986 et la création d’un Conseil national de la solidarité. L’expérience de l’Eglise latino-américaine est explicitement invoquée, par exemple, dans le dernier document en date du Conseil national de la solidarité, Partager au nom du Christ (Bayard, 2004, p. 31) à propos de l’évangélisation intégrale.

Cette recherche rejoint également une conviction de la Mission populaire de France, dans le cadre des Eglises protestantes.

 

L’Afrique ou la mission inversée :

Un mouvement se renforce : des Africains sont en service pastoral dans les Eglises en France. Rien que dans le cadre de l’Eglise catholique, c’est plusieurs centaines de prêtres et de religieux ou religieuses africains qui sont en service pastoral, sans compter la présence de milliers de laïcs africains dans les communautés chrétiennes.  Cela manifeste clairement la mission comme échanges entre Eglises, et situe les Eglises « filles » comme des Eglises « sœurs », ce qui évidemment révèle une évolution au plan ecclésiologique mais n’en pose pas moins de sérieuses questions.  L’Eglise catholique en France ne fait-elle pas appel à ces prêtres et religieuses pour des questions de confort (les chrétiens de France sont habitués à être servis par des prêtres nombreux) ? La présence de ces agents pastoraux ne serait-elle pas plus utile pour la mission dans leur Eglise d’origine ? Qu’en est-il des aspects financiers de tels échanges ? Pourtant la façon d’évangéliser de ces agents pastoraux transforme la relation des chrétiens de France à la Parole comme à la communauté locale (cf Mission de l’Eglise, n ° 137, Octobre 2002, « Accueillir, c’est s’ouvrir un peu »).

 

Dans les Eglises protestantes également, depuis une trentaine d’années, des ministres venus des autres continents participent à l’animation des paroisses ou même les prennent en charge. Il s’agit là d’un échange de personnel, sans négliger pour autant la place de plus en plus importante des laïcs issus d’autres continents dans la vie des communautés chrétiennes en France (cf. Marc Spindler et Annie Lenoble-Bart, Chrétiens d’outre-mer en Europe, un autre visage de l’immigration, Karthala, 2000).

 

Mais on peut remarquer également que l’expérience, si limitée soit-elle (cf par exemple la critique de l’inculturation dans les Eglises d’Afrique par Jean-Marc Ela dans Repenser la théologie africaine, le Dieu  qui libère, Karthala, 2003), de l’inculturation/contextualisation dans les Eglises d’Afrique, ouvre aussi des voies pour l’inculturation/contextualisation du christianisme en France. Il apparaît clairement que ce terme s’il a émergé de l’expérience des Eglises en Asie et en Afrique, permet aussi de prendre en compte la nécessité pour l’évangélisation en Europe de rencontrer le cœur même de la culture (des cultures) en évolution, notamment chez les jeunes, et d’y annoncer le message de façon pertinente (cf la réflexion dans le cadre français, du Cardinal Jean-Marie Lustiger sur Evangile et inculturation dans « l’homme sans fin ou le redoutable paradoxe de la culture contemporaine », Etudes, Octobre 1983, pp. 299-301 – Jean-Paul II, Ecclesia in Europa, n° 58-62). Le concept d’inculturation permet de repenser la mission en France aujourd’hui contre la constatation d’une ex-culturation telle que Danièle Hervieu-Léger, par exemple, l’analyse dans le cas de la France (cf Catholicisme, la fin d’un monde, Bayard, 2003, p. 91).

Le retour de la mission africaine pour la France, c’est à la fois le témoignage d’agents pastoraux venus de ce continent pour la mission en France, mais c’est aussi l’apport de concepts missiologiques comme celui d’inculturation.

 

Certains, comme Jean-Marc Éla, pensent qu’« il faut cesser de réduire les échanges entre les Églises à un simple transfert de personnel ou de matériel. Ce qui compte peut-être davantage aujourd’hui, c’est de partager avec les autres ce qui se vit de la foi dans les communautés locales d’Afrique. Cette exigence pose des questions fondamentales en matière d’inculturation qui concerne tous les domaines de la foi. Qu’apportons-nous à l’Occident si nous mimons un modèle d’Église qui est désormais en panne ?» (Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère pp.185-186).?

 

Le Pacifique et l’engagement anti-atomique :

Depuis 50 ans, les essais nucléaires américains aux Iles Marshall (1946), ou français à Reggane (1960) puis Moruroa (1966) ont amené une réaction des Eglises notamment protestantes, dont l’Eglise Evangélique de Polynésie Française appuyée par la Conférence des Eglises du Pacifique basée à Suva, et par l’Eglise Réformée de France. Des associations de soutien se sont également créé comme Solidarité Europe-Pacifique (102 bd Arago, 75014 Paris) dès 1990, par exemple.

Ces essais nucléaires, même s’ils sont arrêtés depuis une dizaine d’année (1996 pour les essais français) ont posé et continuent de poser de graves problèmes de santé pour les vétérans comme pour les populations locales : une association vient d’être formée pour mener une enquête indépendante sur la situation des personnes contaminées en Polynésie française.

 

Au plan social, les Eglises se sont engagé contre les essais (avec lobbying auprès des puissances décidantes) malgré les retombées économiques « positives » que de tels essais ont engendré pour la région. Cet engagement aux côtés des peuples polynésiens directement concernés a laissé des traces dans la façon dont les Eglises en France peuvent intervenir au plan politique pour défendre des causes précises. Citons l’article récent du Pasteur Jean-Arnold de Clermont, Président de la Fédération Protestante de France, qui s’est beaucoup investi dans le soutien au peuple polynésien, « Quelle parole publique pour les Eglises », dans Unité chrétienne, Mai 2004, pp 44-45. Ou encore le projet de déclaration du Forum organisé par le Défap (Service protestant de Mission – Paris) en Mai 2004 également. Un paragraphe s’intitule : veille/interpellation : « Dans les relations qu’il entretient avec diverses églises sœurs en Afrique, dans le Pacifique ou ailleurs, le Défap est à l’écoute des situations de crise qui peuvent traverser tel ou tel pays. En lien avec d’autres organisations, il joue un rôle de ‘veille’… Il est amené comme porte parole des cinq Eglises de France à sensibiliser, interpeller, dénoncer toute situation d’injustice… Il ne s’agit pas seulement d’agir contre la pauvreté et la souffrance, mais de dénoncer aussi les causes fondamentales de ces injustices, sur les plans politique, économique et écologique ». Toute la réflexion se situe dans l’horizon de l’action avec les Eglises du Pacifique notamment, dans laquelle le Défap est fortement engagé.

 

Au plan théologique, les essais nucléaires ont stimulé une recherche autour de la théologie du Fenua (relation à la mère, à la terre et à la coutume). Ainsi, la CEVAA (Communauté d’Eglises en mission) a organisé à Lifou (Iles Loyauté) en Juillet 2000 un colloque sur la théologie de la terre (CEVAA , La théologie de la terre dans les Eglises du Pacifique, sous la direction de Joël Here Hoiore, Alain Rey et Kä Mana, Ed. Sherpa, Yaoundé, 2000), non seulement pour penser l’identité des peuples du Pacifique dans le contexte d’aujourd’hui, mais aussi  pour nouer un dialogue avec les théologiens qui se trouvent dans une situation où la terre est également un enjeu théologique et politique (cf. p. 6).

 

En contre-coup, les Eglises d’Europe ont reposé la question de la sauvegarde de la création, comme un élément central de la mission chrétienne (cf la réunion oecuménique de Bâle en 1989 sur Justice, Paix et sauvegarde de la création, qui sera suivie d’un rassemblement à Séoul en 1990 sur le même thème), avec une participation particulière des théologiens protestants français, les catholiques ayant mis plus de temps à suivre ces traces.

 

Ces questions particulièrement significatives dans le champ de la missiologie française, en fonction des relations privilégiées avec certains continents, ne sont pas une chasse gardée de la missiologie en France, bien évidemment. Mais elles y ont trouvé un écho particulier qui, je l’espère, notamment par les travaux et les publications qu’elles ont suscités, a pu rejaillir sur la recherche missiologique d’autres pays ou continents.

 

Mission en France, questions aux continents :

 

En conclusion, je voudrais dire que la recherche missiologique en France ne s’épuise pas dans la recherche de réponses à des questions venant des autres continents, aussi sérieuses soient-elles, et quelles que soient les relations passées et présentes avec les Eglises d’où émergent ces questions.

Dans l’hexagone, les Eglises en France ont aussi à répondre aux défis lancés par la situation des chrétiens dans le pays, et cette réflexion peut elle-même avoir des répercussions dans la recherche missiologique des autres Eglises. C’est le cas par exemple de la relation entre les Eglises chrétiennes et la société française comme service du vivre-ensemble dans une société laïcisée et sécularisée. Les chrétiens en France sont maintenant dans une situation nouvelle qui voit l’érosion des symboles de la pratique croyante, l’apparition de fortes minorités musulmanes ou bouddhistes, dans une société jalouse de sa laïcité. En même temps, les Eglises restent des lieux de convivialité, les hiérarchies gardent un autorité morale quant aux problèmes de société (éthique sociale, droits de l’homme,…), les mouvements chrétiens assurent une présence à la base, les écoles et les communautés chrétiennes sont des lieux d’apprentissage du vivre-ensemble dans le respect des origines ethniques ou même religieuses. Dans une telle situation, comment vivre et proposer la foi chrétienne? Cette problématique intéresse d’autres pays d’Europe de l’Ouest ou plus largement d’Occident. Peut-être l’expérience missionnaire actuelle des Eglises de France dans leur propre contexte mondialisé pourrait-elle aussi servir d’autres Eglises dans d’autres contextes, également mondialisés.

 

 

 

Jean-Marie Aubert

et une équipe de collaborateurs